Guo Pei : « Je tombe vraiment amoureuse de mon travail »

24.2.2017

Elle est devenue l’une des créatrices de mode asiatique les plus influentes à Paris. Guo Pei est venue témoigner de son parcours lors d’une Master Class exceptionnelle à l’ESSEC Executive Education, à La Défense. Membre invité de la Chambre Syndicale de la Haute Couture à Paris, la styliste chinoise est revenue sur ses premières années dans la mode, et sur sa vision de l’industrie du luxe aujourd’hui.


Quel est votre parcours ?


J'ai commencé à étudier la mode en Chine en 1982, lorsque ce concept était encore inconnu de la majorité du peuple chinois. J’étais parmi les premières créatrices de mode en Chine. Il y a 20 ans, j’ai fondé ma propre marque, Rose Studio, première marque de mode sur-mesure en Chine. A cette époque, le peuple chinois ne connaissait pas le genre de vêtements sur lequel je travaillais, ni même la haute couture. J’ai dû trouver mon propre chemin. Du temps s’est écoulé depuis 1982 et j'ai pu voir se développer l’industrie de la mode en Chine. Il y a environ un an, j'ai finalement importé ma marque à Paris. J’ai alors été très honorée de devenir membre invité de la Chambre Syndicale de la Haute Couture de Paris, et j'ai tenu mon premier défilé ici. Jusqu'à présent, trois défilés ont eu lieu avec succès et c'est un plaisir de voir que beaucoup de gens apprécient mon design et acceptent mes idées. En tant que haute couturière, j'ai toujours cherché à trouver mon propre chemin. La conception de la haute couture française est très reconnue et m'a beaucoup motivée pour progresser. Mais, je vais continuer avec mon propre style.

Quelles sont vos sources d'inspiration ?

Pour moi l'inspiration vient de la vie. Beaucoup de designers et d'artistes partagent la même pensée. Quand j'étais plus jeune, je ne comprenais pas bien ce que les inspirations étaient et d'où elles venaient. A cette époque, vous percevez le monde avec des limites. Une fois, je me suis efforcée de trouver des inspirations pour créer quelque chose de nouveau, mais rien ne me venait. Plus tard, quand votre expérience de vie grandit, que vous avez de nouvelles perspectives de vie, que les émotions et les sentiments débordent naturellement de votre cœur, vous souhaitez les partager et les exprimer au monde entier. C’est comme ça que m’est venue l'inspiration. L'inspiration doit venir de la vie.


Comment avez-vous réussi à vous faire connaître en Chine ?


Dans les années 80, les clients savaient peu de choses sur la mode et le potentiel du marché était énorme. Ma connaissance du milieu n’était pas extraordinaire non plus. J'ai grandi avec les clients et j'ai eu la chance de vivre à une époque où les matériaux étaient rares mais où les gens aspiraient à la beauté et à l'appréciation esthétique. Dans la rue, on voyait si souvent des Chinois porter les mêmes vêtements... Toute conception ou idée de conception était adorée par les clients. En tant que conceptrice de prêt-à-porter, j’ai eu la chance de voir qu'une de mes créations s'était vendue à 50.000 exemplaires. Sans exagérer, en partant au travail le matin, je pouvais compter au moins 10 personnes qui portaient mes créations. Pour autant, le succès commercial ne m'a pas apporté tant de bonheur. Parfois , je voulais aborder les gens dans la rue et leur dire qu'ils devaient porter les vêtements d'une autre manière pour être parfaits. C'était peut-être le résultat de ma personnalité, depuis petite fille j'avais le fort désir d'être une conceptrice et de concevoir de beaux vêtements.

« Un morceau de vêtements peut vraiment changer la vie d'un homme »

Comment avez-vous réussi finalement à vous épanouir ?

Je suis chanceuse parce que mon rêve n'a jamais changé : concevoir des vêtements qui peuvent sembler irréels, comme de belles robes. Peu de gens pouvaient me comprendre parce qu'ils pensaient qu'il n'y avait aucune occasion de porter ces robes. On pouvait les voir seulement dans les films ! C'est peut-être parce que j'ai un tel désir et une telle soif de liberté dans le design que j'ai fondé ma propre marque pour concevoir des vêtements sur mesure. Cela me rend heureuse parce que je peux faire face à mes clients, les influencer et utiliser mon design pour faire une différence dans leur vie et leurs perceptions. Je peux rendre leur vie plus significative. Et en retour, je reçois un sentiment d'accomplissement illimité en étant à leur service. Il ne s'agit pas uniquement de concevoir des vêtements, mais plus de transmettre des sentiments et de l’amour. Je pense que les vêtements, si vous les prenez seulement comme des vêtements ne sont pas différents d'autres produits commerciaux. Un morceau de vêtements peut vraiment changer la vie d'un homme. Tous les jours, je sens que je tombe un peu plus amoureuse de mon travail.

C’est important pour vous de témoigner de votre expérience et de votre vision de la mode, et plus largement de la vie ?

Le partage et la communication des connaissances sont très importants. C'est ce qui construit notre société. C'est également la base qui établit les relations entre les gens. Je suis venue ici pour cela. Je suis toujours désireuse de partager. Je raconte mon histoire, exprime mes émotions pas seulement dans mon design, mes créations, mais en témoignant également. J’aime communiquer et partager. Par le partage, j’obtiens de l’inspiration et je perfectionne ma vision de la vie.

Quel message voudriez-vous faire passer à un ESSEC qui se lance dans l'industrie du luxe ?

Je ne peux pas dire que je suis une experte du management du luxe. J'ai seulement une certaine compréhension de cette industrie. Je partage juste mon expérience et ma pensée. Et je suis prête à la partager avec tout le monde. Très simplement, dans l’industrie du luxe, vous devez aimer ce que vous faites. L’amour doit être réel et sincère. Votre travail ne doit pas être considéré comme un outil, que vous utilisez pour atteindre votre objectif, faire le buzz et gagner de l'argent. Pour faire de la haute couture et devenir un acteur reconnu de l’industrie du luxe, vous avez besoin d’aimer la mode, de la comprendre et de la connaître. Je pense que les produits de luxe ne sont pas seulement des produits de consommation, ils sont bien plus que cela. Les produits de luxe ne sont pas faits pour faire de l’argent, ils sont un trésor de l’humanité, puisqu’ils sont intemporels.

Les images de la Master Class de Guo Pei :

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